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Ras le bol du racisme
Ras le bol du racisme
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14 avril 2006

Enquête: Banlieues, retour de flammes

Cinq mois se sont écoulés depuis que les banlieues de France se sont enflammées. Mais tandis qu'à Clichy, Pau ou Vénissieux, les jeunes insurgés ont cessé le combat, une autre guérilla continue de faire rage, sur les scènes intellectuelles et médiatiques, cette fois : celle de l'interprétation des faits, qui porte sur la signification même de ce que les spécialistes nomment des "processus émeutiers".

A vrai dire, cette bataille-là ne date pas d'hier. Simplement, à chaque nouvel embrasement, elle franchit, elle aussi, un nouveau seuil de violence. Depuis novembre 2005, elle s'est encore radicalisée. Et si d'aventure les hostilités devaient cesser, ne serait-ce qu'un instant, on s'apercevrait alors qu'un cadavre gît au milieu du front : celui de la sociologie. Sur les plateaux de télévision ou dans les colonnes des journaux, en effet, on a tiré à vue sur ces "chers professeurs" qui, là où il faudrait voir les logiques purement culturelles ou ethniques à l'oeuvre dans ces événements, s'obstinent à y plaquer des causalités sociales (chômage, précarité, relégation...), se complaisant ainsi dans une impardonnable "culture de l'excuse".

Selon cette rhétorique désormais bien rodée, les "belles âmes" sociologiques seraient incapables de percevoir les vrais enjeux des crises actuelles : l'islam, la polygamie, la haine de la République et/ou de la culture "occidentale", c'est-à-dire de la culture tout court. Pire, leur coupable aveuglement ferait de ces sociologues les principaux responsables de la barbarie à venir : "Pour la sociologie (nous parlons ici de la sociologie aussi déterministe que compassionnelle issue de Bourdieu) servant de base à tous les travailleurs sociaux, médiateurs, intervenants en banlieue, "la" culture n'existe pas ; seules existent "les" cultures, toutes légitimes à égalité. A force de marteler que "la" culture est oppression, élitisme, qu'une pièce de Shakespeare n'a pas plus de valeur qu'une chanson, et qu'un vers de Racine ne vaut pas mieux qu'un couscous, comment s'étonner qu'on brûle des bibliothèques ?", s'interroge ainsi le philosophe Robert Redeker dans un ouvrage publié sous la direction de Raphaël Draï et Jean-François Mattéi (La République brûle-t-elle ? Essai sur les violences urbaines françaises, Ed. Michalon, 208 p., 17 €).

Offensive virulente, dira-t-on, hasardeuse pour la forme, sans nuance sur le fond. Mais qui n'en a pas moins atteint son but : faute d'avoir anéanti son adverse partie, elle a réussi à la terroriser. Comment expliquer, sinon, la réaction panique de quelques sociologues français ? Au lieu de se préparer à une guerre d'usure, et de réinvestir le "terrain" pour mettre en chantier des enquêtes au long cours, les voilà qui se laissent entraîner dans le champ miné d'une polémique à courte vue. C'est du moins ce que donnent à penser les deux volumes parus simultanément aux éditions La Découverte : un petit livre publié sous la direction de Véronique Le Goaziou et Laurent Mucchielli (Quand les banlieues brûlent... Retour sur les émeutes de novembre 2005, "Sur le vif", 160 p., 8,5 €) et un numéro de la revue Mouvements ("Emeutes, et après ?", n°44, 200 p., 13 €).

EMBALLEMENT MIMÉTIQUE

Certes, on y trouvera quelques contributions intéressantes : celle de Patrick Simon, par exemple, intitulée "Discriminations négatives. Pour une politique contre le délit de faciès". Celle de Marwan Mohammed et Laurent Mucchielli, aussi, consacrée à l'action policière dans les quartiers "sensibles". Mais dans l'ensemble, la faiblesse de ces publications vient de ce qu'elles ne reposent sur aucune investigation réelle, aucun apport comparable à ce qu'avaient pu réaliser Stéphane Beau et Michel Pialoux avec leur enquête sur la ZUP de Montbéliard dans Violences urbaines, violence sociale. Genèse des nouvelles classes dangereuses (Fayard, 2003), pour ne citer que ce seul exemple.

Où est la voix des émeutiers ? On n'en perçoit ici que de vagues échos, hâtivement utilisés. Le point de vue des policiers, celui des pompiers ? Faute de recherches empiriques, beaucoup de textes cèdent à une double facilité : d'un côté, l'énoncé de causalités mille fois ressassées (pauvreté, discriminations...) ; de l'autre, la polémique contre la "doxa" sécuritaire et la "lecture "unique obligatoire" susurrée par les politiques et confirmée par les médias".

Derrière les pétitions de principe "scientifiques", on distingue les dégâts d'un emballement mimétique aussi navrant que périlleux : à force de se renier elle-même, une certaine sociologie "militante" en vient à reproduire le plus paresseux des discours médiatiques. La crise de novembre exige à la fois moins de précipitation et plus d'audace. Elle attend d'autres "travaux" que ceux-là.

Jean Birnbaum

Source de cet article: http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3260,36-761212,0.html?provenance=rss

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